CHAPITRE
XVIII
Mœurs,
Usages, Coutumes
Le grand
mot des habitants de Neuilly pour rejeter la plupart des améliorations qu’on
leur propose est celui-ci : Ce n’est pas la coutume. C’est dire assez
combien ils tiennent à leurs usages, quelque gênants qu’ils soient quelque
fois.
Durant
longtemps, durant plusieurs siècles même, ces bonnes gens ont su se conserver
dans une simplicité de mœurs qui équivalait presque à ce qu’on appelle la
politesse du monde. Mais depuis environ vingt ans, c’est-à dire depuis la
révolution de mil huit cent trente, il s’est opéré parmi eux une réaction qu’il
est impossible de ne pas remarquer. On dirait qu’ils ont voulu goûter à leur
tour de cette prétendue civilisation moderne. Ainsi, défiance de tout ce qu’on
leur dit, dans la crainte d’être trompés, costumes, modes même, café, danser,
etc. : rien ne leur semble étranger. Bientôt le chemin de fer leurs
apportera les journaux, les feuilletons, les brochures, et avec cela
l’indifférence pour leur intérâts éternels, l’oubli de leur devoir religieux,
le mépris de ce qu’il y a de plus saint ; etc. Je n’avance tout cela qu’en
voyant les résultats opérés dans ceux
qui ont été à Paris, à Langres ou ailleurs, faire soi-disant leur
apprentissages. A quoi cela tient-il ? Précisément à cette faiblesse de
caractère, à ce défaut de jugement qui sont l’apanage de quiconque sacrifié ses
principes à l’intérêt, au lucre.
Les
usages propres à Neuilly sont assez nombreux ; pour mettre de l’ordre dans
cet article, nous renverrons les usages religieux relatifs aux fêtes de l’année
au Calendrier des Saints du diocèse que nous nous proposons de dresser, pour
l’usage de Neuilly même. Quant aux autres usages, voici les plus remarquables.
L’habitant
de Neuilly se lève avec le jour, rarement avant, mais en hiver, il prolonge sa
veillée jusqu’à dix ou onze heures. Les hommes causent pendant ce temps, lisent
l’almanach ou travaillent à quelques petits ouvrages manuels, comme de
raccommoder leurs outils, leurs instruments, leurs ustensiles. Les femmes
filent ou teillent le chanvre ; souvent elles se réunissent 7 ou 8 dans
une même maison pour faire l’écraigne ou veillée ; alors chacune
contribuera à payer l’huile qui sera brûlée durant l’hiver.
On fait
ordinairement quatre repas, dont deux principaux : on déjeune avant de se
livrer au travail ; on dîne vers onze heures ou midi ; on mairande ou
l’on goûte vers quatre heures, et l’on soupe à la tombée du jour ; au
retour du travail. Inutile de dire que les assiettes et surtout les serviettes
sont inconnues ; si on se sert d’assiettes, bien entendu qu’on n’en change pas. Tout le dîner se compose de
la soupe et des légumes cuits au lard. La viandes de boucherie ne parait que les
jours de noces ou de fête, rarement les simples dimanches.
La forme
des maisons est (1633, 1684, 1720, 1723, 1759, 1778) invariablement la même si
ce n’est que depuis une quinzaine d’années, quelques rares habitants ont
commencé à les bâtir un peu plus à la moderne, et à les couvrir en tuiles. Au
XVII et même au XVIII siècle la porte d’entrée de la cuisine, celle de l’entrée
et celle de la grange étaient rondes par le haut, il en reste peu de ce
genre ; mais les autres parties ont peu changé.
Voici le
croquis de la disposition à peu prés constante des maisons.
Le plus
bizarre de tous les usagers propre à notre village est sans contredit, la
rentrée des moutons à l’heure où le berger les ramène le soir. Bien longtemps
avant leur retour, on voit un membre de chaque famille se diriger gravement,
armé d’une perche, d’une fourche ou au moins d’une gaule, vers l’entrée de la rue par où ils doivent venir. Là, on
jase, on commère, on en dit du long et du large. A peine a-t-on entendu les bêlements
des moutons, que chacun se met en mesure d’arrêter, les siens au passage. Bientôt
c’est une mêlée générale, une cohue d’hommes et de bêtes des plus pittoresques ;
les gens veulent attraper les brebis ; les brebis veulent s’échapper.
Bref, après une demi-heure de lutte et une heure et demie de perdue à attendre,
ou reconnait que l’on n’a perdu qu’un mouton. Alors, au bat le village tout
entier, on met tout le monde sens dessus dessous, jusqu’à ce qu’on se soit
assuré que l’innocent quadrupède a eu assez d’instinct pour ne pas se perdre.
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