Documents : Histoire de Langres et ses environs

Extrait d'un recueil de notes nommé Histoire de Langres et des environs,comprenant un essai de l'histoire générale de Neuilly (tome 13), ecrit le 04 juin 1862

14 novembre 2012


CHAPITRE XVIII

 

Mœurs, Usages, Coutumes

 

   Le grand mot des habitants de Neuilly pour rejeter la plupart des améliorations qu’on leur propose est celui-ci : Ce n’est pas la coutume. C’est dire assez combien ils tiennent à leurs usages, quelque gênants qu’ils soient quelque fois.

     Durant longtemps, durant plusieurs siècles même, ces bonnes gens ont su se conserver dans une simplicité de mœurs qui équivalait presque à ce qu’on appelle la politesse du monde. Mais depuis environ vingt ans, c’est-à dire depuis la révolution de mil huit cent trente, il s’est opéré parmi eux une réaction qu’il est impossible de ne pas remarquer. On dirait qu’ils ont voulu goûter à leur tour de cette prétendue civilisation moderne. Ainsi, défiance de tout ce qu’on leur dit, dans la crainte d’être trompés, costumes, modes même, café, danser, etc. : rien ne leur semble étranger. Bientôt le chemin de fer leurs apportera les journaux, les feuilletons, les brochures, et avec cela l’indifférence pour leur intérâts éternels, l’oubli de leur devoir religieux, le mépris de ce qu’il y a de plus saint ; etc. Je n’avance tout cela qu’en voyant  les résultats opérés dans ceux qui ont été à Paris, à Langres ou ailleurs, faire soi-disant leur apprentissages. A quoi cela tient-il ? Précisément à cette faiblesse de caractère, à ce défaut de jugement qui sont l’apanage de quiconque sacrifié ses principes à l’intérêt, au lucre.

     Les usages propres à Neuilly sont assez nombreux ; pour mettre de l’ordre dans cet article, nous renverrons les usages religieux relatifs aux fêtes de l’année au Calendrier des Saints du diocèse que nous nous proposons de dresser, pour l’usage de Neuilly même. Quant aux autres usages, voici les plus remarquables.

    

   L’habitant de Neuilly se lève avec le jour, rarement avant, mais en hiver, il prolonge sa veillée jusqu’à dix ou onze heures. Les hommes causent pendant ce temps, lisent l’almanach ou travaillent à quelques petits ouvrages manuels, comme de raccommoder leurs outils, leurs instruments, leurs ustensiles. Les femmes filent ou teillent le chanvre ; souvent elles se réunissent 7 ou 8 dans une même maison pour faire l’écraigne ou veillée ; alors chacune contribuera à payer l’huile qui sera brûlée durant l’hiver.

     On fait ordinairement quatre repas, dont deux principaux : on déjeune avant de se livrer au travail ; on dîne vers onze heures ou midi ; on mairande ou l’on goûte vers quatre heures, et l’on soupe à la tombée du jour ; au retour du travail. Inutile de dire que les assiettes et surtout les serviettes sont inconnues ; si on se sert d’assiettes, bien entendu qu’on  n’en change pas. Tout le dîner se compose de la soupe et des légumes cuits au lard. La viandes de boucherie ne parait que les jours de noces ou de fête, rarement les simples dimanches.

     La forme des maisons est (1633, 1684, 1720, 1723, 1759, 1778) invariablement la même si ce n’est que depuis une quinzaine d’années, quelques rares habitants ont commencé à les bâtir un peu plus à la moderne, et à les couvrir en tuiles. Au XVII et même au XVIII siècle la porte d’entrée de la cuisine, celle de l’entrée et celle de la grange étaient rondes par le haut, il en reste peu de ce genre ; mais les autres parties ont peu changé.

     Voici le croquis de la disposition à peu prés constante des maisons.

 

 

 

                                              
       En voici maintenant la description. Chaque mai son complète comprend trois châts ou divisions sé parées par des murs. Le toit est en chaume ; les pignons et les autres murs  en moellons de pierre tendre, unis par un mortier boueux, que rongent les racines d’un lierre séculaire. Le premier chât ou compartiment est ordinairement précédé d’un porche, dont la saillie intérieure servait de buffet, élégamment garni d’assiettes bariolées, de bouteilles et de plats à barbe. La première pièce est la cuisine, contenant toujours une ou deux alcôves bien sombres et le vestibule qui cache la porte de l’escalier du grenier. Au bout de la cuisine se trouve le poêle, qui est toujours très obscur, paru qu’il n’est éclairé que par une fenêtre basse et étroite, qui donne sur le jardin et qui, pour surcroit le malheur est ordinairement ombragée d’arbres ou d’arbustes ; l’un des cotés est garni d’armoires en chêne antique, et l’autre, d’alcôves également en chêne. Au dessus de la cuisine, avons-nous dit, règne le grenier, qui ne reçoit de jour que par la petite fenêtre carrée superposée invariablement  à celle de la cuisine. Plus loin, se trouve un faux grenier, tout bonnement pavé de terre comme la grange. Le second chât comprend la grange, dans laquelle on entre par une immense porte, toujours précédée d’un battant brisé, nommé vulgairement le grand barrien. Au dessus de la grange se trouvent les réserves pour les fourrages et les gerbes. Enfin, on visite l’écurie, modestement annoncée par un petit barrien. Telle est à peu prés la description d’une maison, à la mode de Neuilly, et je lis dans des inventaires vieux de deux cent ans, que cette mode n’a pas changé depuis.

     Le plus bizarre de tous les usagers propre à notre village est sans contredit, la rentrée des moutons à l’heure où le berger les ramène le soir. Bien longtemps avant leur retour, on voit un membre de chaque famille se diriger gravement, armé d’une perche, d’une fourche ou au moins d’une gaule, vers l’entrée  de la rue par où ils doivent venir. Là, on jase, on commère, on en dit du long et du large. A peine a-t-on entendu les bêlements des moutons, que chacun se met en mesure d’arrêter, les siens au passage. Bientôt c’est une mêlée générale, une cohue d’hommes et de bêtes des plus pittoresques ; les gens veulent attraper les brebis ; les brebis veulent s’échapper. Bref, après une demi-heure de lutte et une heure et demie de perdue à attendre, ou reconnait que l’on n’a perdu qu’un mouton. Alors, au bat le village tout entier, on met tout le monde sens dessus dessous, jusqu’à ce qu’on se soit assuré que l’innocent quadrupède a eu assez d’instinct pour ne pas se perdre.

 

13 novembre 2012

        CHAPITRE XVII


  Costumes des Habitants

 

Dans les mémoires de la société archéologique de Langres, M. Paul Péchiné, architecte, a fait un article consciencieux et savant sur les costumes des Lingons de l 'époque gallo-romaine. Nous n'avons gardé de prendre dans ce travail ce qui nous convient ; il sera beaucoup mieux placé à la suite de l'histoire de cette époque.

Nous-mêmes nous avons recueilli sur le costume des habitants de Neuilly de bons renseignements, qui remontent à plus de deux siècles ; mais ce n'est pas encore ici le lieu d'en faire usage, car nous voulons nous borner à ce qui concerne l'état actuel.

Fidèles aux traditions gauloises, les hommes ont conservé la blaude ou blouse, qui parait être la palla de leurs ancêtres ; Virey le dit en citant ce ver de Martial :

Dimidiasque nater gallica palla tegit

 

C'est en effet un vêtement qui ne descend qu'à mi-jambe, et qui ressemble beaucoup à celui qu'on voit à certains individus représentés sur des bas reliefs ou ailleurs. Naguère encore il était du bon ton d'avoir une queue longue et sale de cheveux, que l'on attachait avec une tresse noire et qu'on laissait flotter négligemment sur les épaules. A cela on ajoutait un chapeau de feutre à bords rabattue, un habit blanc à larges pans, une culotte bleue, liée au genou et ornée de boutons de verre bleu ou de métal, et enfin de longues guêtres blanches en toile, serrées au genou avec une tresse rouge et sans sous pieds. Ce costume si grotesque, mais vénérable par son antiquité, a presque entièrement disparu ; la dernière queue a, je crois cessé de se montrer en 1849.

Longtemps la toile blanche, ou bleue, ou bariolée, a fait le fond de la plupart des vêtements, le grand habit seul avait le privilège d'être en drap ; on avait ensuite une espèce de veste en droguet, et voilà tout. Maintenant le drap est devenu moins rare, les indiennes et les rouenneries se répandent ; les redingotes et les habits à la française commencent à se monter, surtout parmi les jeunes gents. Il en est de même des gilets, des chapeaux et des autres vêtements ; mais tout cet extraordinaire n'est que pour les dimanches et les fêtes. Quant aux jours ouvrables, on se contente de la blouse sans ceinture et du bonnet de coton.

Arrivons aux femmes. Leur costumes n'est ni moins uniforme, ni moins antique que celui des hommes. Ainsi elles continuent de porter quant il fait froid, le capuchon, qui n'est autre que la cape de certains ordres religieux, le caban des Espagnols et la coule des arabes.Il consiste en une espèce de capote enveloppant la tête et à laquelle tient un fragment de mantelet découpé en pointe, qui tombe par le dos. Tous les antiquaires, surtout ceux de Langres, conviennent que c'est le Cardocucullus ou coucoule des Lingons, mentionné dès le premier siècle par Martial, qui dit :

Sie interpositus contaminat aucto
Urbiea lingonicus thirianthia bardocucullus

 
  Il parait que ce vêtement,  nécessaire contre le froid, était exclusivement usité parmi les Lingons, et aussi parmi les Santons (habitants de la Saintonge), car le poète dit encore :
 
Gallia qantonico vestit te bardo cucullo

  Trois traçons le portrait du costume des fermes de nos pays ; nous l’empruntons à l’auteur des recherche historiques sur l’arrondissement de Langres : Une taille courte, d’énormes jupes de droguet, un mouchoir plissé et ramassé derrière la tête et serrant le cou, un bonnet dit toquet ou teuque, rond, collant sur le front, et rempli par un autre bonnet piqué : voilà leur accoutrement ordinaire.

     A Neuilly, les femmes font, les jours de fêtes, jusqu’à cinq ou six toilettes différentes, qui remplissent presque les intervalles des offices. En voici le curieux détail : 1° Grand négligé en se levant, pour allumer du feu aller et faire le gros débarras. 2° Toilette propre pour aller à la première messe. 3° Petite toilette négligée, au retour, pour déjeuner, mettre le pot au feu et jouer un peu. 4° vers huit heures, grande toilette de luxe pour la grand’messe. 5° Au retour on serre ce que l’on avait pris de plus précieux et l’on se met en petite tenue, soignée cependant, pour les autres offices. 6° après les vêpres, on diminue encore quelque chose pour passer la soirée à causer sur le pas de sa
porte